Pour briser la tendance actuelle à la désinformation de la grande presse internationale, nous devons remonter le temps. En 1971, bien avant que les médias sociaux ne prennent le contrôle de l’essentiel des reportages, la presse était encore plus ou moins un « quatrième pouvoir ». Désormais, les budgets publicitaires et la censure politique déterminent le contenu de votre journal.
Les études scientifiques n’étaient pas encore – comme elles le sont aujourd’hui – influencées par le besoin de publier et les intérêts industriels, ou pire, par les programmes informatiques.
C’est à cette époque qu’un « Historique de la question palestinienne » est publiée à l’Université de Liège (B) par l’asbl « Le Masque à Gaz ». Sans la collaboration de l’Association des Etudiants Arabes de l’Université de Liège, cet historique n’aurait pas vu le jour.
Avertissement
- De « l’objectivité »
Ceux qui ont contribué au travail de cet « historique » ont conscience de ne pas être objectifs. Plus, ils ne veulent pas l’être. Pour eux l’objectivité pratique n’existe pas. Ils savent que, dans le sens où le mot est généralement entendu, il n’est qu’un masque nanti d’une majuscule, cachant l’hypocrisie et la malhonnêteté intellectuelle (dans le meilleur des cas).
Nous désirons être honnêtes. On peut penser que c’est là une grande témérité : il est vrai que l’honnêteté est une porte beaucoup plus étroite que ne le pensent le « honnêtes gens », mais vrai aussi que le monde sur lequel ouvre cette porte est plus riche que celui de « l’objectivité ».
Ce que notre group a tenté de produire, nous ne voulions à la fois :
- Modeste instrument d’approche d’une réalité vaste et importante, liée à tous les problèmes d’aujourd’hui ;
- Arme destiné e à ceux qui partagent notre opinion et peuvent contribuer à son élargissement et à son perfectionnement.
C’est là, nous le reconnaissons, un programme bien ambitieux pour de pauvres moyens. Mais combien de moyens bien plus puissants sont utilisés à des fins bien plus pauvres :
- De quelques autres mythes bien entretenus à propos du problème “Israélo-Arabe”
En effet, ce problème est d’un abord difficile, à cause de certaines mythes entremêlés à la culture Européenne et entretenus à dessein, parfois de manière ignoble (il faut voir à ce propos “le petit livre” pour enfants intitulé “Le petit David”, qui montre notamment un hideux arabe … “méchant mais pas très courageux”, un couteau entre les dents, et attaquant une école).
Assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme ou “celui qui est contre Israël est contre les Juifs”.
Il arrive que certaines personnes, pour “ouvrir les yeux” des braves gens sur l’antisionisme qualifient les intellectuels Juifs antisionistes (historiens, journalistes, etc.) … de malades mentaux. On a entendu un professeur d’université user de ce terme à Liège, lors d’une conférence).
Il nous semble nécessaire d’établir un petit lexique :
- Juifs : terme anciennement péjoratif désignant les fidèles d’une religion ancienne.
- Israélites : fils d’Israël, euphémisme bien-pensant pour “juif”.
- Sémites : ethnie ancienne, définie par une base linguistique et conçue par “race” par les racistes, et notamment par les nazis.
- Israéliens : habitants actuels de l’état d’Israël.
- Sionistes :
a. Juifs “idéalistes” du début du 20e siècle, groupés en un mouvement ; les circonstances historiques en général et le capitalisme-colonialiste en particulier ont permis à ce mouvement de créer l’état d’Israël
b. Actuellement, les personnes qui défendent l’état d’Israël et ignorent le problème du people Palestinien ; ils peuvent être très bien informés et sont alors malhonnêtes ou mal informés et sont alors ignorants.
L’attitude habituelle des sionistes bien informés consiste à dissimuler un génocide et à glorifier par des mythes, un colos aux pieds d’argile.
Le raisonnement “antisionisme” = “antisémitisme” est simple :
Tous les Juifs sont sémites (on oublie les Arabes, qui le sont aussi) et donc potentiellement israéliens (voyez déjà où cela nous mène !).
Les Européens, et particulièrement les nazis, ont persécuté atrocement les Juifs (nous notons que l’antisémitisme est une tradition, à la fois cause et conséquence de la non adaptations des Juifs.) Donc les Européens doivent soutenir sans conditions les descendants des Juifs récemment persécutés et ceci parce que ces Juifs persécutés ont mérité le droit de redevenir de vrais sémites en devenant israéliens.
Ce raisonnement, à notre avis, ne suffit pas à justifier l’expulsion définitive des palestiniens.
Le “miracle israélien” ou l’ancienne Palestine, désert peuplé de nomades.
Israël a connu une évolution économique importante, exploitée comme “miracle” auprès des progressistes européens. Cette évolution est logique et compréhensible, par :
- La forme particulière de colonisation (voir chapitre ‘spécificité de la colonisation juive’)
- L’afflux rapide de “cadres” et techniciens d’origine européenne
- L’afflux des capitaux, provenant du mouvement sioniste international et le soutien économique des pays capitalistes. (Notons que ce soutien économique va de pair avec un soutien politique constant)
On ne peut justifier par le progrès, même s’il est réel, la spoliation de tout un peuple.
Ce mythe du “miracle” présente des particularités de vocabulaire : le mot “désert” (transformé en jardin) et le mot “nomade” ; ces deux mots sont encore riches d’un sens erroné : le seul désert qui ait jamais existé en Palestine est le Néguev. Et le Néguev est toujours un désert.
Le mot “nomade” est entaché d’un préjuge sociologique.

Le “bon droit” des Juifs ou la terre promise
Nous avons incorporé à l’historique une citation sur le “refus de l’intégration” (voir chapitre ‘le sionisme’)
Le fait est que les sionistes des temps héroïques étaient mal intégrés. Il est donc normal et humain qu’ils aient rêvé de la terre promise par le bible.
Mais il vaut mieux éviter la réalisation de certains rêves !
La “terre promise” ne vaut que dans le bible, et dans la religion, et n’a rien à voir avec aucune réalité.
Elle est considérée comme la terre des ancêtres (lointains) des Juifs actuels. Mais il est possible que ces ancêtres soient illusoires. (Voir chapitre « Aperçu sur la Palestine »).
Il est fort possible aussi que les Palestiniens expulsés aient été plus proches des anciens fils d’Israël que les Juifs immigrés, du moins d’un point de vue sociologique.
Le mythe du « miracle israélien » est donc l’expression d’un nationalisme attardé, et ceci à une époque où s’amorce l’internationalisme. A ce propos, on pourra lire utilement la citation de Lénine insérée dans le chapitre « Le Sionisme ».
Aucun nationalisme ne justifie un génocide dissimulé.
Table des matières
Chapitre 1 : Aperçu sur la Palestine
– Son histoire avant le 20ième siècle
– Etat du pays au début du 20ième siècle
Chapitre 2 : Le Sionisme
Chapitre 3 : Débuts de l’implantation sioniste en Palestine
– Les intérêts de la Grande Bretagne
– La déclaration Balfour
– Originalité de la colonisation juive
Chapitre 4 : Le mandat Britannique en Palestine (1920-1948)
– La politique anglaise durant le mandat
– La révolution palestinienne de 1936-1939
– Le livre blanc
Annexe : « La valse des commissions »
– La seconde guerre mondiale
– Le partage de la Palestine
Chapitre 5 : La guerre de 1948
Chapitre 6 : L’après-guerre et la crise de Suez
Chapitre 7 : De la guerre de Suez à la guerre des six jours
Annexe : « Israël et l’impérialisme »
Chapitre 8 : Chronologie rapide
Chapitre 9 : Bibliographie
Chapitre 1 : Aperçu sur la Palestine
- Son histoire avant le 20ième siècle
La Palestine, tout comme la Mésopotamie, est une région fertile et touchante à la mer. C’est dès la préhistoire, un de ces endroits privilégiés, ‘centres’ de la civilisation. (C’est en Palestine, à Jéricho, que l’on trouve les premier témoignages connus d’agriculture et d’élevage, vers 6.500 av. J.C.). [Remarque: Vu Le Tenach – écritures juives – la création aurait eu lieu en 3761 avant J.C.]
Son histoire, tout comme celle de Mésopotamie, est une suite ininterrompue d’invasions. En effet, le sud du Golfe Arabique, région aride, aux fleuves rares, peut être considéré dès les plus hautes époques, comme un « réservoir de populations ». Les populations nomades qui y vivent sont attirées par les régions plus riches, la Palestine (méditerrané orientale) et la Mésopotamie (Golfe Persique) : l’une après l’autre, elles s’y infiltrent, les envahissent, y prennent le pouvoir, s’y fixent et s’y assimilent jusqu’à la nouvelle invasion. Ainsi des Chananéens et des Hébreux. De plus, des peuples puissants (Egyptiens, Assyriens, Romains), convoitent ces régions.
De 2500 à 1000 av. J.C. : Chananéens, Philistins et tribus hébraïques
2500 : la région est connue sous le nom de ‘Terre de Chananéens’ (ce peuple, originaire d’Arabie, s’y est fixé).
1850 : des tribus hébraïques, originaires du plateau arabique, tentent de s’établir en Palestine, mais en sont chassées par les Chananéens. Ils vont en Egypte.
1300 : Une tribu des « Peuples de la Mer » porte le nom de Philistins (d’où le nom arabe Phalestine) s’y installent.
1290 : Les tribus hébraïques reviennent d’Egypte et pénètrent dans la région. Elles feront escale pendant 40 ans dans le désert de Sinaï, par crainte de la puissance Chananéenne.
1050 : Les Hébreux s’avancent dans le pays et occupent la ville de Jéricho.
De 1000 à 586 av. J.C. : Les royaumes de Juda et d’Israël
De 1000 à 926 : David et Salomon
1000 av. J.C. : David, qui est venu à bout des Chananéens, est sacré roi. Il occupe Jérusalem et en fait la capitale du royaume hébreu. C’est une période de prospérité, surtout sous le règne de Salomon.
926 : Après la mort de Salomon, le royaume est divisé en deux : le royaume de Judée au sud (Jérusalem) et le royaume d’Israël au nord (Samarie).
De 926 à 586 : les royaumes de Juda et d’Israël. Période de troubles : luttes entre les deux états, chacun subissant lui-même des difficultés internes. De plus les deux états sont menacés à la fois par l’Egypte et l’Assyrie qui rivalisent.

722 : destruction du royaume d’Israël (prise de Samarie) par l’assyrien Sargon II ; déportation des élites (intellectuelles et manuelles) et mélange des israéliens restants avec les nouveaux venus.
586 : destruction du royaume de Juda (prise de Jérusalem) par Nabuchodonosor II : nouvelle déportation des juifs des deux anciens royaumes vers Babylon.
Des juifs, plus ou moins nombreux selon les époques, après la destruction des royaumes, continueront à vivre en Palestine sans être organisés sous forme d’état. Leurs tentatives successives d’autonomie politique échoueront.
Ainsi, la domination politique des Hébreux sur la Palestine a durée en tout et pour tout quatre siècles : de 1000 à 586 av. J.C.
De 586 à 539 av. J.C. : domination assyrienne.

De 539 à 332 av. J.C. : domination perse.
539 : Chute de Babylon. Les Perses occupent la Palestine. Sous la domination perse, la tribu de Judée revient de Babylone à Jérusalem. Les pratiques religieuses juifs sont restaurées et évoluent. Il y a de nombreuses querelles religieuses.
De 332 à 63 av. J.C. : domination des Séleucides.
332 : Conquête d’Alexandre le Grand. Les querelles religieuses entre les juifs continuent. Il s’ensuit que les tentatives de retour à l’autonomie politique échouent.
De 63 av. J.C. à 636 ap. J.C. : domination romaine et byzantine.
70 : Titus détruit entièrement Jérusalem.
135 : Un religieux juif, Barkoka, s’insurge contre les romains. L’empereur Hadrien détruit de nouveau Jérusalem et se livre à des massacres.
Depuis cet événement, les juifs n’ont plus fait une tentative d’apparition en Palestine sous forme nationale ou politique et ce jusqu’au 20ième siècle.
N.B. A la suite des massacres d’Hadrien, l’émigration juive, déjà importante depuis longtemps, se renforce. Elle prend la direction de l’Arabie (du Nord et surtout du Sud) et du bassin méditerranéen (Europe méridionale et Afrique du Nord) pour s’étendre à de très nombreux pays (diaspora).

Un courent d’émigration atteint la vallée du Don en Russie. Ces émigrés réussissent à convertir au judaïsme une partie de la population.
En 740, le roi Bolan embrasse la religion juive, suivi par la noblesse du royaume et le peuple. (Lorsque Constantin I est devenu chrétien, le christianisme est devenu religion d’état : c’est le même phénomène).
Lors de la dislocation du royaume de Bolan, les Juifs convertis (à savoir les Juifs émigrés et les autochtones convertis au judaïsme) se dispersent dans tous les pays d’Europe orientale, puis occidentale.
Ainsi, même si on l’admet la notion fort contestable de ‘race’, les israélites Européens et les israéliens ne sont pas les descendants directs de la tribu sémite qui dirigea la Palestine pendant 4 siècles.
De 636 à 1542 : l’empire arabe.
636 : Les arabes, constitués en empire, chassent les romains de Palestine et occupent la région.
Auparavant, les tribus arabes nomades et isolées, vivaient en Palestine. La conquête arabe de 636 provoque l’accroissement et la sédentarisation de la population. On assiste à un afflux de tribus arabes d’Irak, d’Arabie et de Syrie.
De 1542 à 1918 : domination turque sur tous les pays arabes.
La domination turque, longue de 4 siècles approfondit la décadence arabe latente et conduit à une régression socio-économique et culturelle du monde arabe en général et de la Palestine en particulier.
Ce phénomène rend le monde arabe particulièrement vulnérable au colonialismes français et britannique et à l’occupation sioniste de la Palestine.
Situation de la Palestine au début de la 20ième siècle.
La Palestine est un pays de 27.000 km² environ. Ses frontières définitives ont été fixées par une série d’accords et traités qui s’échelonnent de 1906 à 1922.
Jusqu’en 1914, la Palestine demeure une région éloignée de l’empire ottoman, rattachée à la province de Syrie, peu peuplée et à l’économie fondée sur une agriculture naturelle assez primitive. L’industrie est pratiquement inexistante et le commerce reste local.
La caractéristique principale de cette agriculture est l’existence de grands domaines administrés par des propriétaires absentéistes, et cultivés par des ouvriers agricoles. Ces domaines couvrent plus de la moitié des terres cultivables. Il subsiste néanmoins un certain nombre de paysans petits propriétaires.
Les ouvriers agricoles, attachés à la terre, sont exploités par les grands propriétaires et les fonctionnaires ottomans. Les petits propriétaires sont exploités par le chef du village (cheikh), le gouverneur, l’usurier, les marchands.
Les fellahs, ouvriers ou petits propriétaires, soumis à l’impôt, sont perpétuellement endettés (en 1930 on peut observer des taux usuriers de 30 à 200 %). La seule ressource dont ils disposent est très souvent la vente de leurs terres.
Ainsi s’explique la dépossession graduelle des fellahs, qui vont aller grossir la réserve des chômeurs.
Le nombre d’habitants : environ 300.000 vers 1880, environ 689.000 vers 1914.
La communauté juive, qui existe ici comme dans les autres pays (arabes ou non), n’est pas homogène, elle est sous la dépendance des œuvres de bienfaisance (1868 : 15 % des 13.000 Juifs exercent une profession lucrative). Elle atteindra le nombre de 85.000 personnes en 1915 (35.000 Juifs de Palestine font alors partie des organisations sionistes), mais reviendra à 57.000 en 1918.

En conclusion, la situation de la Palestine est telle au début du 20ième siècle que le pays est la proie rêvée pour tous les colonialismes.
Chapitre 2 : Le sionisme
Le « peuple » juif est « dispersé » dans le monde entier depuis plus de 2.000 ans ; c’est ce qu’on appelle la « diaspora ». Or c’est seulement à la fin du 19ième siècle que s’est répandu l’idée d’un état juif, idée soutenue seulement par celles de « terre promise ». C’est à la fin du 19ième siècle qu’est né le mouvement sioniste.
Pourquoi seulement à ce moment ? Est-ce simplement un hasard ou faut-il y chercher des causes profondes ?

Après la féodalité : apparition de la bourgeoisie et de l’état nationale.
1789 est une date ‘charnière’ de l’histoire. Elle marque la fin de la période féodale et le triomphe du système social en gestation depuis un certain temps : le capitalisme.
La féodalité était caractérisée par une multitude de petites communautés économiques, plus ou moins indépendantes, le plus souvent concurrentes ; les villes étaient fort peu développées et peuplées principalement d’artisans travaillant individuellement et des commerçants.
Le capitalisme va changer profondément cet état de fait.
Grace aux progrès de technologie (apparition des machines) et aux conquêtes coloniales (appropriation des matières premières), l’industrie se développe rapidement, les villes se peuplent d’un prolétariat, l’artisanat décline au profit des manufactures.
Le pouvoir n’appartient plus aux aristocrates de jadis, mais à ceux qui ont l’argent et le font fructifier en exploitant le travail du peuple. Cette nouvelle classe, c’est la bourgeoisie.
Un autre caractère important de cette période historique est l’unification progressive des mini-états féodaux en états nationaux. En effet le capitalisme naissant, placé dans la nécessité d’écouler les produits qu’il fabrique, a besoin d’un marché suffisamment étendu. C’est pourquoi la constitution des états nationaux est beaucoup plus rapide dans les régions où la bourgeoisie est la plus forte (France, Angleterre, Etats-Unis …).
N.B. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’on assistera à l’éclatement des frontières nationales du capitalisme, sous la poussée des grands monopoles internationaux, avide de l’élargissement de leur marché aux dimensions de la planète.
En résumé, au 19ième siècle, on assiste donc à la formation, dans le cadre des états nationaux, d’un marché profitant à la nouvelle classe moyenne bourgeoise. C’est le nationalisme bourgeois.
Le sionisme – une bourgeoisie sans marché.
Dans les régions d’Europe où la classe moyenne était soit relativement faible soit embryonnaire, la constitution de l’état national moderne s’est attardée jusqu’à la moitié du 20ième siècle. Ainsi en Italie, en Allemagne et dans les Balkans. Dans ces régions, les mouvements nationalistes bourgeois devaient lutter contre la dispersion féodale et le morcellement politique et contre l’hégémonie des bourgeoisies nationales qui les avaient précédées dans la formation de leur état.
Le sionisme est le résultat de ces grands changements historique qui ont affecté l’Europe.
Il est une réaction de la bourgeoisie juive traditionnelle contre les bourgeoisies européennes locales (principalement d’Europe orientale) qui sont entrées en lutte pour la direction de l’économie ; la bourgeoisie juive est peu à peu éliminée des secteurs économiques qu’elle occupe.
C’est dans ce sens qu’on peut expliquer le sionisme comme étant le mouvement national bourgeois juif à la recherche d’un marché qui lui soit propre.
La lutte a souvent pris parmi les européens non Juifs l’aspect de l’antisémitisme le plus violent.
En 1829, l’empire tsariste signe un accord commercial avec la France. Dans les provinces romaines de l’empire (Moldavie et Valachie), la bourgeoisie locale active a toujours été juive. L’accord commercial conclu, par l’entrée des richesses qu’il provoque, favorise le développement d’une bourgeoisie nationale romaine. Trente ans après, le pays est pour la première fois secoué par des vagues d’antisémitisme.
(Jallach El Azam, « Pour mieux comprendre le sionisme », revue Mawakef, Beirouth).
La « question juive » est donc aussi une question économique, c’est la concurrence entre deux bourgeoisies pour la conquête des marchés.
Inquiets de cette situation, un certain nombre d’intellectuels juifs lancent l’idée de rassembler les Juifs du monde entier dans une région donnée (en Uganda, en Argentine ou en Palestine). La bourgeoisie juive possèderait alors un marché exclusif, à sa mesure.
Le fameux slogan sioniste disait qu’il faut trouver « une terre sans peuple pour la donner à un peuple sans terre » doit donc plutôt se comprendre comme la nécessité de créer un marché sur mesure pour une bourgeoisie sans marché.
Ces désirs d’une constitution d’un état national arrivent à maturité vers la fin du 19ième siècle. Ils coïncident donc avec l’apogée du colonialisme européen, à la recherche de matières premières, de main d’œuvre à bon marché, de nouveaux débouchés.
Le colonialisme sioniste vient donc à son heure, il concorde avec les intérêts extérieurs de l’Europe.
Être Juif avant tout
Le sionisme devait lutter aussi contre les tentatives et les tentations d’intégration des Juifs en Europe, d’où l’ambiguïté et la confusion voulu entre Juifs et sionistes, entre antisionisme et antisémitisme.
« Le sionisme n’est pas seulement une idée générale, ni une conception philosophique et religieuse, c’est dans son essence même une lutte contre l’intégration ».
(Ben Gourion, « Gazette annuel de l’état d’Israël », 1952)

Le courant invitant les juifs à s’intégrer aux sociétés où ils vivent a été défendu par Karl Marx dans son « Etude de la question juive », parue en 1884.
Le sionisme a été sévèrement condamné par Lénine comme un projet colonialiste et un sabotage de la solidarité qui doit régner entre les travailleurs juifs et leurs frères européens.
(cf. le démêlés de Lénine avec la Bund et la Paolé Sion, partis socialistes n’acceptant comme membres que des Juifs.)
Chapitre 3 : Débuts de l’implantation sioniste en Palestine
Les premiers colons juifs
A la fin du 19ième siècle, le développement de la petite bourgeoisie nationale russe, sa prise en mains des commandes de l’économie, ses manifestations chauvines et systématiquement racistes (pogroms organisés par l’état) rejettent les Juifs des postes qu’ils avaient toujours occupés dans la vie du pays et les poussent à sortir du pays.
Dès 1882, quelques colonies agricoles juives se sont créées en Palestine. Les pionniers, pour la plupart originaires de Roumanie et de Russie, ignorent les notions les plus élémentaires de l’agriculture et s’endettent rapidement.

L’année même, ils doivent solliciter l’aide de l’étranger. Le baron E. de Rothschild (France) sera leur bienfaiteur. Bienfaiteur certes, mais également capitaliste averti : les colonies doivent fructifier. Le baron expédie sur place une administration chargée de faire obéir les colons et de mater les multiples insubordinations.
Peu à peu, les colons vont réaliser l’intérêt qu’il y a de faire travailler à leur place les fellahs (ouvriers agricoles arabes), qui constituent une main d’œuvre à bon marché. Les colons se transforment en “planteurs”. La colonisation juive est à ce moment une colonisation d’un type classique.
Palestine : futur état sioniste
En 1897, le mouvement sioniste est en pleine expansion. Il tient son premier congrès à Bâle, en Suisse. On examine d’abord les projets d’implantation juive en Uganda et en Argentine.
N.B. Les Juifs de Palestine se révèlent de farouches partisans de la colonisation juive en … Uganda, et ne cessent de vitupérer contre la maudite terre de Sion “pays de tombeaux et de cadavres”.
(Léemach, cité par Koestler, “analyse d’un miracle”, Paris, 1949).
La Palestine est finalement désignée comme le futur état sioniste. Ce choix est la conjonction de deux motivations :
L’une rationnelle, le désir de se placer sous la protection de l’impérialisme européen (anglais dans ce cas-ci), seule habilité à disposer du monde et de ses habitants à l’époque ; l’autre, irrationnelle, le désir de retour à la “terre promise”.
En 1900, le baron de Rothschld transfère ses colonies à la ‘Jewish Colonization Association’ (I.C.A.), association privée qui a pour objet le soutien de l’émigration juive dans le monde.
En 1901, création du Fonds National Juif, alimenté par les contributions individuelles de millier de foyers juifs. Le but principal de ce fonds sera l’achat de terres qui deviendront “propriété inaliénable du peuple juif” et seront ainsi soustraites à la spéculation foncière.
En 1903, Hertzel, fondateur du mouvement sioniste, meurt. Les rêves des sionistes vont cependant lui survivre, car ils concordent avec les projets impérialistes de la Grande Bretagne dans le monde arabe.
La Grande-Bretagne entre en jeu : ses intérêts au Proche-Orient
En 1904, la Grande-Bretagne, craignant la concurrence de l’impérialisme allemand dans le monde, établit l’entente cordiale avec la France (pacte Lyautey – Kromer), qu’elle élargira sous Sir Henri Campbell-Bannerman, premier ministre libéral, à la Belgique, l’Espagne et la Hollande, en 1907.

C’est à ce moment que ce premier ministre anglais annonce la création d’une commission formée d’éminents professeurs d’université. Elle doit analyser les causes de la chute des empires précédents dans l’histoire et présenter des recommandations pour éviter ou du moins retarder la chute de l’Empire britannique.
Après avoir cité les raisons déterminant la chute des empires et rappelé les intérêts de l’Europe dans le monde, ce rapport pose la question décisive :
D’où pourrait provenir le danger menaçant l’Empire britannique en particulier et l’impérialisme européen en général ?
La réponse n’a pas tardé :
« Le danger réside dans le bassin méditerranéen, charnière entre l’occident et l’orient, et route de la Grande-Bretagne vers les colonies d’Extrême-Orient, route qui passe par le canal de Suez. En effet, de Rabat au Maroc jusqu’à Mersin en Turquie, il n’y a qu’un seul peuple jouissant d’une histoire commune, d’une civilisation commune, d’une langue commune : le peuple arabe. Là se trouvent toutes les possibilités d’une éventuelle renaissance nationale et les ressources d’une probable puissance ».
Le rapport demande alors :
« Quelle serait la situation si les aspirations de ces peuples venaient à se réaliser effectivement par l’union et que leurs efforts soient canalisés ?
La réponse est claire :
« La réalisation de ces aspirations porterait un coup décisif à l’Empire britannique. »
Pour se prémunir contre un désastre éventuel, la commission recommande aux grandes puissances le maintien de cette région à l’état démembré – (les Français en Afrique du Nord, les Anglais en Égypte et au Proche-Orient, les Turcs au Proche-Orient) – arriéré et en pleine ignorance. Elle recommande de lutter contre toute tentative d’union, qu’elle soit d’ordre intellectuel, spirituel ou surtout politique et territorial.
Le moyen le plus efficace est de séparer le bloc africain et le bloc asiatique par l’établissement sur le pont qui les relie d’un « puissant barrage humain », allié de la Grande-Bretagne et hostile aux habitants de la région : ce sera le rôle de la colonisation juive en Palestine.
Les intérêts impérialistes britanniques se retrouvent en parfait accord avec ceux du sionisme.
N.B. Au sujet des intérêts de la Grande-Bretagne au Proche-Orient, on pourra consulter les articles de M. Rodinson et K. Mohieddine dans « Les Temps Modernes », 1967, n° 253 bis, et la brochure « Gauche authentique, Gauche aventurière » du parti communiste libanais, Beyrouth.
La déclaration Balfour
En 1914, la première guerre mondiale éclate.
Les sionistes continuent leurs pressions sur la Grande-Bretagne pour la réalisation de leur intérêt commun : la création d’un état juif en Palestine.
Avant la fin de la guerre, le leader anglais sioniste Herbert Samuel présente dans un rapport au gouvernement britannique le projet de fondation en Palestine d’un état juif sous contrôle anglais. Il propose « d’y grouper 3 à 4 millions de Juifs européens » et se justifie en ces termes : « Nous posséderons de cette façon un nouvel état ami avoisinant l’Égypte et le canal de Suez ».
Des négociations d’ordre pratique sont ouvertes entre l’Angleterre et les deux leaders sionistes Rothschild et Weizman.
En novembre 1917, ces contacts aboutissent à la déclaration de Balfour, alors ministre des Affaires étrangère britanniques :

Cher Lord de Rothschild,
J’ai le très vif plaisir de vous adresser, au nom du gouvernement de sa Majesté, la déclaration suivante de sympathie à l’égard des aspirations sionistes juives qui furent soumises au cabinet et approuvées par lui. Le gouvernement de sa Majesté envisage avec faveur l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et fera tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter l’exécution de ce projet, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui pourrait porter préjudice soit aux droits civils et religieux des communautés non juives vivant actuellement en Palestine, soit aux droits et statuts politiques des Juifs dans les autres pays.
Je vous serais obligé de bien vouloir porter cette déclaration à la connaissance de la fédération sioniste.
Sincèrement vôtre, A. J. Balfour.
Il est important de signaler qu’un an et demi avant la déclaration de Balfour, un traité d’alliance entre la Grande-Bretagne et Hussein Ben Ali, chérif de La Mecque, fut signé, et dans lequel il est question de l’indépendance des pays arabes, entre autres, la Palestine.
N.B. Hussein Ben Ali est le père de Fayçal, futur roi d’Irak et d’Abdallah, futur roi de Jordanie, par la grâce de la Grande-Bretagne.
En échange de ces promesses d’indépendance, les Arabes devaient combattre les Turcs et les Allemands.
« Le gouvernement britannique m’a chargé de vous assurer que l’Angleterre n’a nullement l’intention de signer un traité de paix ne mentionnant pas parmi les conditions essentielles, l’indépendance et l’unité des peuples arabes, depuis Mersin au Nord jusqu’à l’océan Indien au Sud, l’Est jusqu’à la Mer Rouge, le Sinaï et la Méditerranée à l’Ouest ».
(Lettre de Mac Mahon, haut-commissaire anglais au Caire, à Hussein Ben Ali, le 13 décembre 1915).
Cette manœuvre politique d’accord avec les Arabes s’explique : l’Angleterre a besoin d’eux pour vaincre les Turcs au Moyen-Orient.
« La contribution arabe a été décisive dans la détermination de la victoire des alliés. »
La volonté d’indépendance des Arabes nuit cependant à la politique coloniale anglaise.
L’Angleterre obtient le mandat sur la Palestine

En août 1918, après que la Palestine ait été libérée des Turcs, l’Angleterre, malgré ses promesses aux Arabes et, à leur grande surprise, réunit les terres palestiniennes sous le contrôle du « service des terres occupées de l’ennemi ».
Cette administration militaire commence tout de suite la mise en application de la déclaration de Balfour : elle autorise une mission juive, sous la direction de Weizman, à venir de Londres, afin de participer à l’édification du pays.
En janvier 1919, au congrès de Versailles, les Arabes réclament l’application des accords Hussein – Mac Mahon.
Officiellement, et pour la première fois, les sionistes annoncent la promesse de Balfour, en rappelant le consentement total des alliés à ce sujet.
L’Angleterre prétend que dans ses promesses aux Arabes, il n’était pas du tout question de la Palestine ; elle ajoute que l’importance de ses intérêts dans cette région la met dans l’impossibilité de tenir de telles promesses.
La délégation américaine propose d’envoyer en Palestine une commission d’enquête dans le but de s’assurer des véritables désirs du peuple palestinien pour le choix de son régime politique.
Cette commission, la commission King-Crane, dans le rapport complet de ses enquêtes, déclare le 28 août 1919, après l’énoncé du principe de Wilson du libre consentement des nations à disposer d’elles-mêmes :
« En considérant que ce principe doit être généralisé et en tenant compte des désirs des Palestiniens, nous sommes dans l’obligation d’avouer que les habitants non-juifs, soit 95% de la population, refusent la promesse de Balfour et l’immigration juive (nous ajoutons : qui a déjà commencé, cf. ‘originalité de la colonisation juive’) et qu’ils réclament leur indépendance, c’est-à-dire le départ des Anglais. ».
« Le fait d’imposer une immigration juive à un peuple qui a un tel état psychologique et de telles aspirations à la liberté n’est qu’une contradiction du principe de Wilson que nous venons d’énoncer. ».
Ce rapport n’a eu aucun effet sur la Grande-Bretagne et aucun écho auprès du président Wilson lui-même.
Le 25 avril 1920, le Conseil Supérieur des Alliés se réunit à San Remo et décide, conformément à l’article 22 de la charte de la Société des Nations, la mise de la Palestine sous mandat britannique.
Le texte du mandat fait allusion à la déclaration de Balfour et au consentement des alliés à la création d’un foyer national pour les Juifs. Les aspirations des Arabes palestiniens, désignés négligemment par la périphrase ‘populations non-juives’, sont passées sous silence.
Originalité de la colonisation juive : ‘Produit juif et travail juif’
De 1900 à 1914, on peut distinguer en Palestine trois formes de colonisation juive :
* Les colonies de l’I.C.A., succédant à celles de Rothschild ;
* La colonisation planifiée par les organisations sionistes ;
* Les orangeraies des capitalistes juifs privés.
Dans les trois cas, une mise de fonds considérable est nécessaire : ainsi, l’installation d’une famille de colons coûte plus ou moins mille livres sterling. Le colon juif originaire d’Europe a un niveau de vie élevé et ne peut concurrencer le fellah pour la production de légumes et de céréales.
Les agriculteurs juifs en viennent très rapidement (recherche de profit) à exploiter systématiquement la main d’œuvre locale.
La colonisation juive est à ce moment une colonisation ‘classique’ : exploitation par des colons étrangers de la main-d’œuvre locale d’un pays.
Le facteur nouveau va être l’opposition entre les colons installés et les nouveaux immigrants juifs, à la recherche d’un emploi. Ceci, surtout à partir de 1904-1905, moment de la seconde vague de colonisation sioniste – l’échec de la révolution russe de 1905 a jeté de nombreux juifs dans les bras du sionisme. Pour la plupart, les nouveaux immigrants sont de jeunes occidentaux, d’extraction petite bourgeoise, au niveau de vie élevé, inhabiles en agriculture (d’après Van De Velde, 43% d’entre eux ont fait des études universitaires, techniques, …
Ces nouveaux immigrants vont imposer les mots d’ordre : travail juif et produit juif.
Que signifient ces mots d’ordre ?
Les patrons juifs, comme tous les patrons, recherchent le profit maximum. Ils ont intérêt et tendance à employer les paysans arabes et non les immigrants, et ceci, pour trois raisons :
* Le paysan juif est moins habitué aux conditions climatiques et donc moins résistant ;
* Le fellah est plus habile à travailler la terre que le petit bourgeois juif débarquant d’Europe ;
* Le paysan palestinien, au niveau de vie peu élevé, se contente d’un salaire inférieur à celui de l’immigrant juif.
L’immigrant juif n’est pas compétitif sur le marché du travail.
La préférence des employeurs pour les paysans palestiniens allait donc sérieusement freiner l’immigration juive, et par là même, nuire aux projets sionistes de transformation de la Palestine en une colonie de peuplement.
Les organisations sionistes ont donc intérêt à exclure systématiquement la main d’œuvre arabe du circuit de production et à pousser à la création d’un marché juif fermé : un marché où le producteur, l’intermédiaire et le principal consommateur sont juifs.
N.B. L’application des mots d’ordre ‘Travail juif, produit juif’ n’ira pas sans heurts : ainsi, en 1905, à Petah Tikva, les colons installés organisent le boycott des travailleurs juifs nouveaux immigrés.

Les conséquences de ces mots d’ordre sont :
* L’exclusion de la main-d’œuvre arabe de la production va transformer un nombre de plus en plus grand de paysans palestiniens en sous-prolétaires gravitant autour des villes. Le marché arabe, en effet, ne possède pas la même vitalité que le marché juif, parce que trop soumis aux féodaux conservateurs. Sa force financière ne se compare en rien à celle des juifs qui bénéficient de l’aide importante des organisations sionistes dans le monde. Sa force technique est très inférieure à celle des intellectuels juifs immigrés.
* La formation du marché juif va enlever aux masses arabes (aussi bien fellahs dépossédés de leurs terres que sous-prolétariat des Juifs), la faculté d’agir efficacement sur tous les leviers de l’économie en cas de grèves et révoltes.
Nous verrons plus loin les conséquences de ce phénomène (cf. La révolution de 36-39).
En conclusion, l’application de ces mots d’ordre met fin à la colonisation ‘classique’ de la Palestine.
La colonisation juive devient une colonisation de peuplement : elle jette le peuple palestinien en dehors de ses terres et l’oblige à combattre de l’extérieur.
(Fellah : paysan, petit propriétaire agricole au Moyen-Orient)
A suivre …